En attendant notre prochain voyage pour les îles Canaries, revenons un peu sur les sites que nous avons explorés lors de notre dernière escapade hors métropole fin octobre dernier : la Martinique. J'ai toujours été attiré ou même fasciné par les tropiques, au point que mettre le pied dans les Antilles pour la première fois a été une expérience inoubliable. L'envie d'y retourner est bien présente et je me rends compte qu'une façon appropriée de rendre justice à ce voyage, tout comme aux prochains autres, est de parler un peu de chaque zone où j'ai été amené à botaniser (comme on dit !). Ce serait ainsi l'occasion de montrer ce qu'on peut trouver au détour d'un chemin fortuitement, en termes d'espèces végétales, bien sûr, mais aussi animales. Parce que oui, c'est comme ça qu'on fonctionne à la Fritillaire : tout se fait par hasard ! On cherche souvent un peu évidemment (surtout quand nous sommes à la recherche d'une espèce en particulier, Sarah et moi), mais nos plus belles observations se font le plus souvent de cette façon. Allez, c'est parti pour une rétrospective de nos découvertes naturalistes. Première étape : l'étang des Salines et la trace des Caps.
Le sentier vers l'étang, depuis la plage.
Direction l'extrême sud de la Martinique. Situé sur la commune de Sainte-Anne, l'étang des Salines communique avec l'océan Atlantique et la mer des Caraïbes par l'intermédiaire de deux canaux. À chaque marée l'eau de mer pénètre dans la lagune. L'eau douce, quant à elle, est apportée de façon intermittente par le bassin versant. Tout ceci combiné aux aléas climatiques saisonniers génère une salinité des eaux très variable, jusqu'à 40 g/L lors de la saison sèche ! En empruntant l'itinéraire sur pilotis, il est possible d'accéder facilement à l'étang et à sa mangrove. Le Conservatoire du Littoral, qui protège la zone depuis 1998, y a installé un observatoire ornithologique qui permet de découvrir la faune locale. L'étang des Salines est également classé site Ramsar depuis le 15 septembre 2008.
L'étang des Salines.
La mangrove, ici à palétuvier rouge.
Cet endroit a été notre premier contact avec la faune et la flore sauvages des tropiques. C'est aussi là que nous avons fait notre première rencontre avec la mangrove, cet écosystème mythique si riche en biodiversité. Ainsi, il nous a été possible d'observer quatre espèces de palétuviers à savoir le palétuvier rouge (Rhizophora mange), le palétuvier noir (Avicennia germinans), le palétuvier blanc (Laguncularia racemosa) et le palétuvier gris (Conocarpus erectus).
Au milieu de ces derniers évolue une faune tout aussi emblématique telle que le crabe touloulou (Gecarcinus lateralis), particulièrement abondant et bien visible grâce à sa belle couleur rouge mais aussi très farouche ! Il s'abrite rapidement dans un terrier avant que l'on ait le temps de l'approcher. Ceci étant, la star de la mangrove reste sans conteste le crabe violoniste (Uca pugilator), connu pour la pince démesurée du mâle. Les antillais l'appellent "cé ma faute" car le mouvement qu'il fait avec sa pince évoquerait celui d'un catholique en train de faire son mea culpa !
Le touloulou.
Le crabe violoniste.
Nous avons même eu la chance d'apercevoir dès le début du sentier un colibri huppé (Orthorhyncus cristatus), perché sur une branche de palétuvier noir ! Cet oiseau minuscule et très vif semble apprécier les fleurs de plusieurs espèces, notamment celles de la verveine de Jamaïque (Stachytarpheta jamaicensis), en compagnie du thé-pays (Capraria biflora). Ces végétaux peuplent les hauts de plages où ils forment souvent d'importants tapis à l'ombre des arbres du littoral : le porcher (Thespesia populnea) ou encore le dangereux mancenillier (Hippomane mancinella) par exemple.
Le colibri huppé.
La verveine de Jamaïque.
En sortant de l'étang des Salines, si l'on suit la route vers l'est, il est possible de rattraper la trace des Caps. C'est l'une des randonnées les plus réputées de Martinique et aussi l'une des plus longues, avec 27 km de tracé le long de la côte atlantique. Elle débute à l'Anse du Petit Macabou pour atteindre le bourg de Sainte-Anne. Pour notre part, nous n'en avons arpenté qu'une petite fraction entre l'étang des Salines et la savane des Pétrifications, hélas inaccessible (la voie était inondée).
Les fruits du bois traînant.
Sur ce chemin, du côté de l'océan, sur les rochers et plus près de l'eau, il arrive d'apercevoir les fleurs de la sésuve à fleurs de pourpier (Sesuvium portulacastrum), une plante crassulescente au même titre que l'oponce à fleurs jaunes (Opuntia dillenii), localement envahissante. Côté terre, la flore arbustive xérophyte forme des fourrées denses le long de la côte. Elles sont composées entre autres de petit baume (Lantana involucrata), d'acacia tortueux (Acacia tortuosa) et d'acacia Saint-Domingue (Dichrostachys cinerea), parfois mêlés à d'autres essences comme le bois traînant (Pithecellobium unguis-cati). Ce joyeux souk est de plus parfois envahi par la liane douce (Ipomoea tiliacea) ou la liane sans fin (Cassytha filiformis), qui peuvent rappeler nos liserons et nos cuscutes européens.
Dans cet environnement sec à la végétation dense, plusieurs espèces animales semblent trouver leurs aises. Les sporophiles cici (Tiaris bicolor), petits passereaux territoriaux, accueillent parfois le promeneur tandis que les bernard-l'ermites terrestres (Coenobita clypeatus) vaquent à leurs affaires dans la litière. Ils sont assez bruyants à fouiller dans les feuilles mortes et peuvent être repérés de loin. Plus rare, le coulicou manioc (Coccyzus minor) se comporte un peu comme l'un de nos geais des chênes en volant d'arbre en arbre. Il est possible de le croiser avec de la chance dans le sous-bois à la limite de la savane des Pétrifications.
Le sporophile cici.
Le bernard-l'ermite terrestre.
Le coulicou manioc.
Une fois parvenu à l'entrée de la savane des Pétrifications (que nous n'avons malheureusement pas eu la chance de découvrir pour la raison évoquée plus haut), il est possible d'admirer la Table du Diable, une petite île volcanique inhabitée à 500 mètres du littoral. Pour peu que le vent souffle, ses falaises abruptes sont alors battues par les vagues. La zone, très exposée et rocailleuse, est principalement occupée par de grands cactus-cierges (Pilosocereus royenii) et des arbustes de médeciniers rouges (Jatropha gossypiifolia). Mais en fouillant un peu, de discrets liserons bleus (Evolvulus filipes) peuvent être aperçus. Il y a fort à parier que la végétation change d'allure en fonction de la saison. La floraison des cactacées présentes sur la zone doit être spectaculaire et mériterait un second passage... Peut-être un jour ?
La Table du Diable.
Quelques cactus-cierges et oponces.
Pour la rétrospective sur la flore de Martinique, c'est par ici !