La réserve naturelle nationale (RNN) de la presqu'île de la Caravelle constitue probablement l'une des randonnées les plus connues de Martinique. Elle est située à l'extrême est de l'île, près de Tartane, sur la commune de la Trinité. Vue d'avion, elle ressemble un peu à un fer à cheval rocheux enfoncé dans l'Atlantique, doté de plages de sable blanc et de falaises abruptes. Ainsi elle est surtout fréquentée pour la beauté de ses paysages sauvages. Plus de 200 000 visiteurs s'y pressent chaque année ! Mais c'est aussi un hotspot pour les naturalistes, puisque ses 388 hectares abritent pas moins de 179 espèces de phanérogames et une centaine d'espèces en ce qui concerne la macrofaune, dont 78 espèces d'oiseaux. Il faut dire qu'il s'agit d'une importante mosaïque d'habitats différents entre mangroves, forêts sèches, savanes herbacées... Faisons-y un petit tour.
Petit passage dans la mangrove.
Dès l'entrée trônent les ruines du château Dubuc, une ancienne habitation de colons esclavagistes. Il faut en effet savoir que dès la fin du XVIIème siècle, la presqu'île de la Caravelle a été presque entièrement déboisée pour notamment permettre la culture de la canne à sucre. La forêt tropicale sèche qui la recouvrait à l'époque ne subsiste de nos jours que sous la forme de rares vestiges, bien que l'on puisse espérer son retour sur le long terme. L'abandon de l'exploitation de la famille Dubuc à la fin du XVIIIème siècle a en effet permis à la presqu'île de redevenir sauvage. Elle a été classée réserve naturelle nationale le 12 mars 1976 et est depuis gérée par le Parc Naturel Régional (PNR) de la Martinique. Le climat y est très sec avec une pluviométrie qui ne dépasse par les 1 600 mm par an, alors qu'elle dépasse les 4 500 mm du côté des sommets comme la montagne Pelée ou les Pitons du Carbet. D'un point de vue géologique, la presqu'île est l'une des plus anciennes régions de la Martinique avec celle de Sainte-Anne (plus de 10 millions d'années !).
Le sentier commence donc à proximité des ruines du château Dubuc (qu'il est possible de visiter, entrée payante). Il forme une boucle de 8 km avec possibilité de raccourci. De fait, il est possible de l'emprunter dans les deux sens : soit par le phare, soit par la mangrove. Le premier est plus facile que l'autre et permet d'éviter une montée assez sportive ! Évidemment, faute de connaître cette information, nous avons choisi la difficulté sans le savoir...
Le moqueur à gorge blanche.
La première partie du chemin commence donc par un sentier côtier, au milieu de la mangrove. Il s'agit d'un excellent itinéraire si l'on souhaite découvrir cet écosystème si particulier et typique des tropiques. Il est très balisé et de nombreux panneaux informatifs nous apprennent bien des choses au sujet de la réserve et de sa biodiversité. La chance nous a souri dès le début, dans le sous-bois de la forêt sèche, avec un couple de moqueurs à gorge blanche (Ramphocinclus brachyurus). Cet oiseau extrêmement rare est endémique de cette presqu'île et de la côte nord-est de Sainte-Lucie. Il s'agit d'une espèce qui passe beaucoup de temps au sol, à la recherche d'insectes, dans les zones boisées qui produisent une abondante litière. Il n'y aurait en Martinique, selon un recensement de 2003, qu'environ 200 adultes nicheurs. Inutile de préciser que cette espèce est particulièrement menacée. Côté flore, il est possible d'observer l'oxalis arbustif (Oxalis frutescens) aux belles fleurs jaunes ou encore des filles de l'air (le plus souvent Tillandsia utriculata), ces broméliacées épiphytes qui vivent accrochées dans les branches des arbres de la forêt sèche.
L'oxalis arbustif.
Les filles de l'air.
Passé ce premier sous-bois, le sentier file vers le littoral. On traverse d'abord une savane où les herbacées sont les reines, en particulier la danseuse étoile (Rhynchospora ciliata), une élégante cypéracée, et le très discret curculigo à feuilles de scorsonère (Curculigo scorzonerifolia). Ce dernier trouve dans la presqu'île de la Caravelle son unique station naturelle de Martinique. La faune n'est pas non plus en reste puisque plusieurs espèces d'oiseaux sont facilement observables : le sporophile rouge-gorge (Loxigilla noctis) ou encore le saltator gros-bec (Saltator albicollis), tous deux endémiques des Petites Antilles, au même titre que le furtif colibri madère (Eulampis jugularis). Le sucrier à ventre jaune (Coereba flaveola), petit passereau assez fréquent sur l'île, se montre aussi de temps à autre. Comme un peu partout en Martinique l'éternel bernard-l'ermite terrestre (Coenobita clypeatus) apparaît ici et là.
La danseuse étoile.
Le colibri madère.
Le curculigo à feuilles de scorsonère.
Le saltator gros-bec.
Le sporophile rouge-gorge.
Le sucrier à ventre jaune.
Prière de ne pas toucher aux fruits du mancenillier.
La savane cède rapidement la place à une forêt littorale sèche où de nombreux troncs sont marqués d'un coup de peinture rouge. Si vous vous êtes déjà rendus dans les Antilles, alors vous devriez avoir déjà fait connaissance avec le mancenillier (Hippomane mancinella), réputé être l'arbre le plus dangereux du monde. Rien que ça. Des panneaux informatifs sont là pour nous rappeler (ou nous apprendre) les précautions d'usage : sa sève est hautement corrosive, donc mieux vaut ne pas essayer de goûter à ses fruits ni même s'abriter sous ses branches lorsqu'il pleut ! Malgré sa présence que l'on pourrait penser néfaste pour la faune, celle-ci reste bien diversifiée avec notamment l'anolis roquet (Anolis roquet) et de nombreux crabes violonistes (Uca rapax). La mangrove, que l'on ne quitte jamais longtemps sur cette première partie du sentier, abrite aussi le grapse ensanglanté (Goniopsis cruentata), un petit crabe très coloré.
Des crabes violonistes.
Le grapse ensanglanté.
L'anolis roquet.
Passée cette tranquille balade côtière, le sentier se fait beaucoup plus escarpé puisque nous atteignons les crêtes rocheuses. Les palétuviers gris (Conocarpus erectus) et les cactus de Royen (Pilosocereus royenii) nous accompagnent jusque là. Comme nous avons commencé cette randonnée par la mangrove, il nous faudra monter la côte jusqu'à la pointe Caracoli. Autant dire qu'il vaut mieux avoir de bonnes chaussures ! Ceci étant, le panorama une fois parvenu en haut vaut le détour. Ces falaises abruptes sont le lieu de nidification des frégates superbes (Fregata magnificens) et d'un oiseau marin emblématique : le paille-en-queue à bec rouge (Phaethon rubricauda), que nous n'apercevrons pas (il aurait fallu venir en début d'année, entre mars et août).
Le point de vue de la pointe Caracoli.
Le milieu au sommet des falaises.
Le sentier parfois escarpé qui continue ensuite le long de ces falaises finit par mener près du phare de la Caravelle. Ce petit bâtiment, auquel il est possible d'accéder, est le plus haut phare naturel de France. Il est en effet fiché sur un piton basaltique et culmine donc à 130 mètres au dessus du niveau de la mer. Mis en service en 1862, il est aujourd'hui entièrement automatisé grâce à l'énergie solaire.
La dernière partie de l'itinéraire passe au travers d'une nouvelle forêt sèche. Regardez bien, dans les fossés humides qui bordent le chemin se trouve parfois une drôle de plante : la sensitive (Mimosa pudica). Touchez ses feuilles et vous la verrez les replier comme par enchantement. Avant de partir, les plus chanceux (comme nous) apercevront une dernière fois le moqueur à gorge blanche, quelques bernard-l'ermite terrestres ou encore le colibri huppé (Orthorhynchus cristatus). Ou peut-être même la paruline jaune (Dendroica petechia), que les locaux appellent paruline didine. Ce magnifique oiseau jaune et orange, très discret, mérite qu'on le cherche un peu.
La sensitive.
Le phare de la Caravelle.
La paruline jaune.
Pour la rétrospective sur la flore de Martinique, c'est par ici !