Le monde du vivant, c'est pour une grande part une histoire de relations et d'interactions entre les espèces. Certaines d'entre elles peuvent être bénéfiques pour les uns comme pour les autres. On parle alors de mutualisme ou encore de symbiose, sujet que nous aborderons dans un prochain article. Mais ces interactions peuvent aussi s'avérer néfastes pour tout ou partie des organismes impliqués. Parmi ces relations toxiques, on compte le parasitisme. S'il est tentant de penser que seuls les animaux sont capables de se parasiter les uns les autres, il n'en est évidemment rien. Car les plantes peuvent elles aussi se révéler être de vrais vampires !
Le concept de parasitisme
Suçoir, ou haustorium, d'une cuscute. observé au microscope.
Parasitisme. Parasite. Voilà des mots qui peuvent faire peur aux non initiés. Mais la peur n'est-elle pas le fruit de l'ignorance ? Intéressons-nous un peu à ce concept. Qu'est-ce que le parasitisme ? C'est avant tout une relation gagnant-perdant entre deux organismes vivants. L'un tire des profits de l'autre (en l'occurrence des nutriments), tout en ayant sur lui un effet délétère. Dit comme ça, le parasitisme semble perdre un peu de son mystère. C'est donc en fait l'histoire d'un amour qui n'est pas réciproque, si l'on peut dire.
Le parasitisme est très répandu chez les végétaux. Sur les quelques 300 000 espèces de plantes à fleurs, on en compte au moins 4 000 qui sont parasites. Mais pourquoi ? Pourquoi sont-elles devenues les Vampirella de leur règne ? Nous n'en savons rien. Peut-être ont-elles, au cours de l'évolution, trouvé qu'il était plus facile de survivre en puisant leur énergie directement chez leurs voisines. D'autant plus que ces parasites sont parfois de proches cousines d'espèces qui, elles, n'ont absolument pas opté pour un tel mode de vie. Les plantes parasites jouent donc les guerrières affamées en plantant leurs suçoirs, ou haustoriums, directement dans les tissus (racines, branches, tronc ou tiges) de leur hôte pour en pomper la sève.
Si la plupart de ces parasites sont externes (ectoparasites), certains sont internes (endoparasites). Ils vivent en effet à l'intérieur même de leur hôte ! C'est le cas par exemple du cytinet (Cytinus hypocistis). Cette plante méditerranéenne envahit les racines de certains cistes. Elle ne devient visible que lors de sa floraison. C'est également le cas pour la plante qui possède les plus grosses fleurs du monde : la rafflésie d'Arnold (Rafflesia arnoldii), ainsi que toutes ses cousines proches. Mais aussi du gui des genévriers (Arceuthobium oxycedri). C'est pas incroyable ?
Différents types de parasitisme
À l'image de la photosynthèse (lire l'article), toutes les plantes parasites n'ont pas adopté la même stratégie. Il existe ainsi deux grands types de parasitisme.
❀ Le parasitisme total : On le nomme aussi holoparasitisme. Les espèces dites holoparasites puisent l'entièreté de leur subsistance chez leur hôte. Elles sont donc complètement dépendantes de ce dernier et, bien souvent, meurent en même temps que lui s'il lui arrive un pépin. Dans la plupart des cas ces plantes possèdent des feuilles très réduites, généralement à l'état d'écailles. En effet, elles sont purement incapables de réaliser la photosynthèse ! Pas besoin de ça puisqu'elles tirent tous les nutriments dont elles ont besoin chez leur infortunée victime. Qui dit pas de photosynthèse, dit absence de pigments tels que les chlorophylles. L'aspect de ces plantes est donc assez insolite puisqu'elles ne sont pas vertes. Au contraire, elles sont plutôt violacées, beiges ou rougeâtres. Parmi ces plantes, on connaît notamment les orobanches, les lathrées et les cuscutes.
❀ Le parasitisme partiel : Ou hémiparasitisme. Cette fois-ci, les plantes hémiparasites sont chlorophylliennes et donc capables de réaliser la photosynthèse au moins dans une mesure réduite. Mais leur activité photosynthétique demeure insuffisante pour satisfaire totalement leurs besoins métaboliques. Contrairement au cas précédent, elles possèdent des feuilles pleinement développées. Elles puisent cependant chez leur hôte les nutriments qui leur manquent. Il peut s'agir d'eau et/ou de minéraux, voire de composés organiques plus complexes selon le degré de parasitisme. Les hémiparasites comptent les guis, les mélampyres et les rhinanthes pour ne citer qu'eux.
Il est intéressant de noter que les Orobanchaceae sont la seule famille regroupant à la fois des holoparasites et des hémiparasites. Toutes les autres familles sont homogènes et ne comportent que soit l'un, soit l'autre.
La quête de l'hôte, un obstacle de taille
Cuscuta scandens est capable de parasiter de nombreuses espèces.
On l'aura vu, les plantes parasites sont des espèces qui vivent très près de leur hôte, si ce n'est pas directement à l'intérieur. Mais comment arrivent-elles là ? Qu'est-ce qui rend leur invasion possible ? Ce sont des questions que l'on peut légitimement se poser surtout dans le cas des espèces holoparasites, pour lesquelles il est impossible de vivre seules. Alors, comment se débrouillent-elles pour trouver un hôte en étant incapables de survivre longtemps en autonomie ?
Tout se joue au moment de la germination. Certaines plantes nécessitent de germer à proximité directe de leur futur hôte. Pourquoi ? Tout d'abord parce que la graine contient rarement suffisamment de ressources pour permettre à la plantule de chercher un hôte longtemps. Plantule qui est incapable d'assurer sa survie seule, puisqu'elle est incapable de réaliser la photosynthèse. Se trouver près d'un futur hôte, c'est également pouvoir capter des signaux chimiques émis par ce dernier, qui vont permettre la levée de la graine. Les parasites racinaires sont sans doute les moins chanceuses du tas. Chez Striga asiatica par exemple, une hémiparasite d'Asie et d'Afrique, la plantule n'est capable de pousser que de 4 mm ! Si l'hôte n'est pas à proximité, on peut facilement imaginer le pire. Enfin, tout dépend dans quel point de vue on se place. En revanche, chez les parasites des organes aériens comme les cuscutes, les graines disposent souvent de davantage de ressources. Les plantules ont donc plus de temps, souvent quelques jours, pour s'établir... Avant de mourir en cas d'échec.
Bien évidemment, les hôtes ne sont pas choisis de la même façon selon les espèces. Certaines sont plutôt généralistes à l'image du gui (Viscum album) et parasitent de nombreuses plantes différentes appartenant à des genres et à des familles parfois très éloignés. D'autres sont spécifiques. Ainsi la rare phélipanche fausse-lavande (Phelipanche lavandulacea) s'en prend uniquement et strictement à l'herbe au bitume (Bituminaria bituminosa).
D'autres encore s'attaquent à des champignons. On peut ainsi se pencher sur plusieurs orchidées indigènes en France telles que la néottie nid d'oiseau (Neottia nidus-avis) ou encore la limodore à feuilles avortées (Limodorum abortivum). Et oui, même les orchidées peuvent s'y mettre ! Elles sont taxées ici de mycohétérotrophes. Ceci étant, les parasites sont pour leur écrasante majorité des angiospermes, ou plantes à fleurs. Mais ce ne serait pas drôle s'il n'existait pas une exception. Le seul gymnosperme parasite connu à ce jour est le cèdre rabougri (Parasitaxus usta), endémique de la Nouvelle-Calédonie et seul représentant du genre Parasitaxus. Ce conifère parasite les racines d'un autre arbre lui aussi endémique, Falcatifolium taxoides.
Il existe également un cas particulier, celui du séquoia albinos. Ce n'est pas une espèce à proprement parler mais un mutant de séquoia à feuilles d'if (Sequoia sempervirens). Cette forme exceptionnelle peut être observée aux Etats-Unis, où chacune de ses localisations précises reste secrète dans un but de préservation. Il n'y en aurait qu'environ 400 individus ! Ce séquoia albinos, aux aiguilles complètement blanches, est vu comme un parasite des autres séquoias à proximité. Pour rester dans le même thème, il arrive de rares fois qu'une plante qui n'est pas parasite le devienne d'une certaine façon. Ainsi les céphalanthères ou encore les épipactis (Cephalanthera sp., Epipactis sp.) mutent eux aussi parfois et perdent... Leurs pigments chlorophylliens ! De fait ils deviennent entièrement blancs et dépendants de leurs champignons mycorhiziens. Ceux-ci, privés de l'apport en composés carbonés habituellement fournis par la plante, se retrouvent dans une relation gagnant-perdant qui définit le parasitisme.
Séquoia albinos in situ. Source : Wikimedia Commons
Tuent-elles leur hôte ?
La liane sans fin étouffe parfois son hôte.
Cette question revient très souvent lorsqu'on s'interroge sur les interactions entre un parasite et son hôte. Et si le premier avait pour but de tuer le second ?
Comme nous l'avons expliqué plus haut, les plantes parasites dépendent de leur hôte. Cela à un degré différent si on parle d'un holoparasite ou d'un hémiparasite, mais tout de même : elles ne peuvent pas se passer de lui. Ces plantes n'ont donc strictement aucun intérêt à tuer les voisines qui assurent leur subsistance. Bien que, parfois, cela arrive... Mais dans ce cas, il s'agit d'accidents fortuits. À titre d'exemple de nombreuses espèces de cuscutes ou encore la liane sans fin (Cassytha filiformis) peuvent se révéler très envahissantes. À un point tel qu'elles finissent par étouffer leur(s) hôte(s). Ce phénomène peut être observé avec d'autre plantes qui ne sont pas parasites comme le lierre (Hedera helix) qui parvient quelques fois à tuer un arbre sur lequel il grimpe (mais ce n'est pas une généralité !).
Les échanges entre un parasite et son hôte sont aussi plus complexes et plus intimes qu'on peut bien le croire. Des travaux publiés dans Science ont démontré des phénomènes de communication. Les parasites introduisent dans leurs victimes via leurs haustoriums de l'ARNm (ou ARN messager), molécules impliquées dans l'expression génétique. Pour être plus précis il s'agit de microARN, de petites séquences nucléotidiques (environ 22 nucléotides) qui vont interférer avec les ARNm de la plante hôte et empêcher l'expression de certains gènes. Notamment ceux impliqués dans la résistance de l'hôte face aux parasites, comme les cuscutes ! Tout en sachant que ces dernières provoquent chaque année des ravages dans les cultures, les chercheurs pensent détenir la clé de la lutte face à de nombreuses plantes parasites. Une telle promiscuité serait aussi favorable à un autre phénomène dit transfert horizontal de gènes. Une étude menée en 2010 par une équipe japonaise là encore dans Science a montré que Striga hermonthica, une orobanchacée hémiparasite tropicale, a reçu un gène en parasitant le sorgho. Le rôle de ce dernier reste à l'heure actuelle inconnu. Mais tout de même ! Si les plantes parasites commencent à voler des gènes en plus des nutriments nécessaires à leur survie, où va le monde ? L'adage "tu es ce que tu manges" n'auras jamais été aussi vrai.
Sources : https://www.jardinsdefrance.org/ https://www.florealpes.com/ http://perso.numericable.fr/daniel.pavon/Telechargements/MEDAIL-et-al-2011_Phelipanche-lavandulacea-Monaco.pdf http://endemia.nc/flore/fiche659.html http://isyeb.mnhn.fr/sites/isyeb/files/documents/127_selosse.pdf https://www.zoom-nature.fr/lierre-arbres-une-interaction-polemique/ https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/botanique-genes-peuvent-passer-plante-autre-36894/ https://www.gurumed.org/2018/01/10/plante-parasite-cre-de-petits-morceaux-darn-dsactiver-gnes-de-htes/ Sarah Kaplan 2016. "The mystery of the 'ghost trees' may be solved". Washington Post. Westwood, James H., John I. Yoder, Michael P. Timko and Claude W. Depamphilis 2010 "The Evolution of Parasitism in Plants." Trends in Plant Science 15.4 227-35 Scott, P. 2008. "Physiology and behavior of plants: parasitic plants". John Wiley & sons pp. 103–112. Jakub Tesitel, Lenka Plavcova, Duncan D. Cameron, 2010, "Interactions between hemiparasitic plants and their hosts, The importance of organic carbon transfer", Plant Signaling and Behaviour. Yoshida, Satoko; Maruyama, Shinichiro; Nozaki, Hisayoshi; Shirasu, Ken. 2010 "Horizontal gene transfer by the parasitic plant Striga hermonthica". Science. 328 (5982): 1128.