Le début d'année est l'occasion d'observer certaines espèces précoces, en particulier les pionnières de milieux ouverts. C'est le cas de la tulipe sauvage (Tulipa sylvestris) dont les premières feuilles apparaissent dès la fin de l'hiver. Cette plante à forte valeur patrimoniale fait l'objet de mesures de protection et de préservation en France, notamment dans le Maine-et-Loire. C'est donc tout naturellement que la Fritillaire a participé en cette fin février à une session de comptage de pieds de tulipes. Cette opération a eu lieu dans la commune de Saint-Aubin-de-Luigné et a été encadrée par le Conservatoire d'Espaces Naturels (CEN) des Pays de la Loire ainsi que par le Centre Permanent d'Initiative pour l'Environnement (CPIE) Loire Anjou.
Sylvestris ou australis ?
La tulipe sauvage, nous vous en avons déjà parlé dans notre herbier photo. Bien que relativement répandue, c'est une archéophyte qui trouve en réalité son origine autour du bassin méditerranéen. Cette liliacée messicole aux belles fleurs jaunes était il y a encore quelques décennies bien visible parmi les vignes. Malheureusement sa population s'effondre massivement depuis les années 70, période à partir de laquelle les modes de culture ont évolué. Cette plante semble en effet se maintenir de façon plus durable sur des sols fréquemment perturbés, tels que ceux des vignobles d'autrefois. Avec l'utilisation de plus en plus démocratisée des pesticides chimiques, les viticulteurs ont peu à peu renoncé à certaines pratiques qui permettaient indirectement à l'espèce de prospérer.
Il en existe au moins deux sous-espèces : Tulipa sylvestris subsp. australis, la tulipe australe ou méridionale, dont la face externe des tépales est lavée de rouge, et Tulipa sylvestris subsp. sylvestris, la tulipe sylvestre entièrement jaune. C'est cette dernière qui est concernée par les mesures de protection et le comptage de ce jour.
La tulipe australe (Tulipa sylvestris subsp. australis).
La tulipe sylvestre (Tulipa sylvestris subsp. sylvestris).
L'histoire du site
C'est lors d'une étude portée par le CPIE Loire Anjou et la Chambre d'agriculture du Maine-et-Loire que plusieurs milliers de pieds de tulipe ont été fortuitement découverts sur le site, alors propriété d'un exploitant agricole sur le point de partir en retraite. La parcelle de 2,4 hectares, mise en vente, était destinée à être remise en vignes. Mais la tulipe sylvestre étant une espèce protégée au niveau national, le CEN des Pays de la Loire a été sollicité par le CPIE Loire Anjou pour acquérir le terrain concerné. Entre partenaires, mécènes et même un financement participatif, la parcelle a ainsi et fort heureusement pu être achetée en 2016 pour un total de 15 200€. Dont 6 214€ issus de donateurs au travers de la plateforme Ulule !
Aperçu de la station.
Cette nouvelle station de tulipes sylvestres est devenue la plus importante du nord-ouest de la France avec pas moins de 140 000 individus dénombrés les années précédentes ! Cette journée de comptage a donc été l'occasion d'estimer à nouveau l'étendue de cette population sur la parcelle acquise par le CEN, mais aussi parmi les vignes d'un exploitant à proximité. Pour protéger certains pieds initialement situés sur une zone non protégée, des transplantations ont été effectuées en amont. Nous avons donc participé à un comptage sur ces zones précises afin d'évaluer la résilience des tulipes en question.
Les premières fritillaires pintades étaient aussi au rendez-vous.
Le comptage
Comme cette espèce ne fleurit pas avant avril, nous n'avons pu en observer que les feuilles. Fait notable : à ce stade, une feuille correspond à un bulbe ce qui facilite grandement le comptage ! Même si reconnaître les tulipes parmi la végétation environnante n'a au début rien de facile et nécessite de s'exercer pour ne pas les confondre avec de gros brins d'herbe.
Pas facile de remarquer cette feuille de tulipe !
Pourquoi ne pas plutôt compter les tulipes au moment de leur floraison ? Tout simplement parce que toutes ne fleurissent pas chaque année. Si la plante n'a pas accumulé suffisamment d'énergie, alors il n'y aura pas de fleurs. D'autant plus que les géophytes se propagent préférentiellement par reproduction végétative, entre autres par production de bulbilles. Autrement dit dénombrer les fleurs ne donnerait pas une idée fiable de la population.
Le comptage en lui-même a consisté en la mise en place de transects et à l'observation visuelle des feuilles de tulipes le long des zones concernées. Leur répartition n'étant pas homogène, il a été impossible d'opter pour une méthode par quadrats.
Résultats
Au terme d'une journée de travail, un peu plus de 6 000 tulipes ont été observées sur l'ensemble des zones. 6 000 individus pour 5 400 ayant été préalablement transplantés. Ce qui signifie que non seulement l'espèce a bien supporté l'opération mais elle a également commencé à se multiplier. Un succès pour les gestionnaires du site ! Reste à voir les résultats pour les autres parcelles, notamment le vignoble lui-même et la prairie qui comporte elle aussi une importante population.